Dachau
Après mon ami Henri Colombeau, je viens d'apprendre le décès d'un autre déporté de Dachau et prisonnier d'Eysses, Monsieur Félix Champarnaud. Je ne peux rien faire de moins que lui rendre hommage sur ce blog en rappelant la vie de ces hommes qui furent mes amis.
Le temps écrase tout, mais je continuerai à me battre pour le devoir de mémoire, avec plus de force encore, en souvenir de mes amis.
Merci
L'enfer sur terre , portrait d'un rescapé
Camp de concentration de Dachau
Henri Colombeau est un jeune homme de 18 ans oeuvrant avec 80 de ses compagnons dans ce que l’on allait appeler plus tard la Résistance. Résistance à l’occupation nazie qui a envahi tout le pays depuis 1942, résistance au gouvernement de Vichy qui collabore très activement avec les Allemands (la Rafle du Vel d’Hiv date de l’hiver 1942). Epris de liberté et de justice, Henri fait partie des combattants de l’ombre qui luttent avec leurs moyens contre la dictature. Henri est responsable des jeunes du maquis de Bellac. Il est chargé de former les nouveaux arrivants à l’impression et à la distribution de tracts anti-vichystes. Alors qu’il fait livrer une machine à polycopier à un groupe de résistants de Limoges, les estafettes chargées du transport sont arrêtées et donnent le nom d’Henri. Avec ses 80 compagnons, il est à son tour arrêté par la Brigade Politique. Emprisonné à Limoges, puis jugé six mois plus tard, il est condamné à deux ans de prison et est envoyé à la Centrale d’Eysses dans le Lot et Garonne. En juin 1944, après une tentative d’évasion avortée, les 1200 prisonniers politiques d’Eysses sont déportés vers le camp de Dachau.
MCT production : Après votre incarcération à Eysses, quand avez vous été déporté vers Dachau ?
Henri Colombo : Nous avons été emmenés début 1944 par la division Das Reich qui remontait de Montauban ( Cette division pendra 99 résistants à Tulle et massacrera le village d’Oradour sur Glane le 10 juin 1944).
MCT : Comment s’est déroulé le transport ?
HC : Il faisait très chaud. Nous étions entassés à plus de 70 dans des wagons à bestiaux, sans paille et surtout sans eau. Le voyage a duré trois jours entre Villeneuve sur Lot et Compiègne où nous sommes restés une dizaine de jours. Ensuite nous sommes repartis pour l’Allemagne.
MCT : comment vous nourrissiez-vous ?
HC : Nous ne pouvions pas manger car nous n’avions pas d’eau. Il est impossible d’avaler de la nourriture solide sans boire.
MCT : Comment faisiez-vous vos besoins ?
HC : Nous creusions directement le fond du wagon, avec les doigts pour pouvoir nus soulager. Mais je tiens à dire que malgré ces conditions de transport très difficiles, il existait une grande solidarité entre les prisonniers d’Eysses, ce qui nous a permis de tenir. Nous nous relayions pour respirer à l’unique ouverture du wagon, pour nous allonger.
MCT : Comment se passe votre réception à Dachau ?
HC : Nous sommes arrivés en gare de Munich et nous avons fini le voyage à pied, sur un ou deux kilomètres. Des enfants nous jetaient des pierres…
MCT : A Dachau, que se passe-t-il ?
HC : Nous avons été rassemblés sur la place pour un appel. Ensuite, une sorte de médecin a procédé à un tri des détenus en fonction de leur physique. Les plus faibles ont été mis à l’écart. Moi, à 18 ans, j’étais solide, j’ai été gardé pour travailler.
MCT : Vous a-t-on donné des vêtements ?
HC : On nous a fait déshabiller entièrement dans la cour et on nous a donné une veste et un pantalon rayés. Nos vêtements faisaient un tas de 20 mètres de haut. Il paraît que les Allemands le revendaient dans leurs magasins en ville. Nous n’avions pas de chaussettes et de simples sandalettes de toile. Parfois, quand il faisait vraiment trop froid, on nous donnait une capote. Nous avons connu des températures inférieures à - 30 °. Les SS changeaient nos uniformes quand ils étaient trop sales. Ils devaient leur faire honte…
MCT : Où dormiez vous ?
HC : les deux premiers jours, nous avons été mis en quarantaine à l’infirmerie du camp, pour voir si nous n’avions pas de maladie. Ensuite nous dormions dans des baraquements. Nous étions 500 par chambrée, et 2000 par baraquement. Nous dormions les uns sur les autres.
MCT : Comment se passaient vos journées au camp ?
HC : Nous nous levions vers 3 h pour l’appel qui durait jusqu’à 6h. Nous restions debout dans la cour, quel que soit le temps. Ensuite, nous partions au travail. J’avais été incorporé dans le kommando d’Allach car je savais travailler. Ce camp annexe se situait à 5 km de Dachau. Nous travaillions pour l’usine BMW qui, à l’époque, fabriquait des moteurs d’avion pour le Reich.
MCT : Avez-vous essayé de saboter ces moteurs ?
HC : Pour saboter, il faut savoir sur quoi on travaille. Je ne le savais pas. De plus, il y avait une surveillance permanente qui empêchait tout sabotage. Et les moteurs étaient testés sur place. Non, je n’ai jamais pu saboter quoi que ce soit. En revanche, les civils allemands avec qui nous travaillions, eux, le faisaient parfois.
MCT : Et après une journée de travail, que faisiez vous de retour à Dachau ?
HC : Nous travaillions 12 heures par jour à l’usine. A notre retour, nous faisions parfois la « pelote », surtout les samedis et les dimanches. C’était une des distractions favorites de notre kapo, surnommé Napoléon. Cela consistait à faire se coucher et se relever les détenus très rapidement. Après une journée de 12 heures de travail, 10 km de marche et une nourriture quasi inexistante, c’était vraiment très dur.
MCT : Justement, comment avez-vous fait pour ne pas craquer ?
HC : La grande solidarité des prisonniers d’Eysses n’a jamais faibli. Même à Dachau. Nous nous soutenions moralement. Nous nous répétions « ça ira mieux demain ». Et nous avons tenu.
MCT : Y avait-il des chambres à gaz à Dachau ?
HC : il y en avait une petite, mais elle n’a pas fonctionné durant mon séjour. Les déportés destinés au gazage étaient envoyés à Auschwitz. A Dachau, les SS assommaient les prisonniers pour les tuer, ou bien leur tiraient une balle dans la tête, ou les pendaient. Ensuite, les corps étaient directement brûlés dans les fours crématoires.
MCT : cela devait dégager une odeur épouvantable ?
HC : Oui, surtout vers la fin, quand les fours n’avaient pas assez de charbon pour fonctionner. A ce moment là, les cadavres s’entassaient dans la cour du camp. L’odeur envahissait même la ville de Munich.
MCT : Comment s’est passée la libération du camp (le 29 avril 1945) ?
HC : Nous avons vu arriver l’armée américaine dans le camp. Mais les soldats sont restés longtemps figés par l’horreur qu’ils ont découverte. Moi, je ne les ai pas vu arriver. J’étais au lit, j’avais attrapé le typhus. Les infirmiers américains m’ont sauvé de justesse. A quelques heures près je ne survivais pas.
MCT : Quand êtes vous rentré en France ?
HC :Je suis revenu le 2 juin. J’ai passé ma convalescence sur les bords du Lac de Constance. Il fallait que je me « remplume », je ne pesais plus que 40 kg.
MCT :Vous pesiez combien au départ ?
HC : Plus de 80. Mais un an sans pratiquement rien à manger, en travaillant comme des bêtes, sans dormir, ça laisse des traces.
MCT : Comment s’est passé votre retour dans votre famille ?
HC : Ils me croyaient mort. C’est mon ami Georges Briquet, qui était commentateur sportif à Radio Luxembourg, qui avait envoyé un message à mes parents : « Henri Vivant ». Mes parents m’ont retapé physiquement pendant trois mois. Mais je n’ai pas pu leur raconter ce qui s’était passé. Ils ne m’auraient pas cru de toutes façons tant l’horreur était inconcevable. Personne ne nous croyait à l’époque ; Malgré tout ce que j’ai vu et subi à Dachau, je n’ai pas été traumatisé, j’allais bien moralement.
MCT : pour finir, pensez- vous qu’il soit nécessaire de perpétuer le souvenir de ces atrocités ?
HC : Bien sûr, c’est indispensable. Malheureusement j’ai l’impression que l’on n’en prend pas le chemin…
MCT : gardez -vous de la haine ?
HC : Oui, un peu. Mais seulement envers ceux de mon âge. Les autres n’y sont pour rien. Et puis, vous savez, il n’est pas facile de mener sa barque dans le courant, quand on ne sait pas ramer…
Merci à Henri Colombeau (qui est un ami personnel) pour son temoignage.