Erevan

Publié le par Louise

Cette fois figurez vous que je ne sais pas quoi penser de la loi que quelques députés ont votée la semaine dernière, à savoir celle qui punit de prison la négation du génocide arménien de 1915.

Bien que je sois persuadée que ce massacre épouvantable fut, en effet et sans aucun doute, un véritable génocide, voulu, calculé et mis en oeuvre de façon "raisonnée", je ne sais que penser de cette incursion de la loi dans l'histoire. Vraiment, je suis déboussolée. D'un côté, je revendique les condamnations lourdes pour les négationnistes des crimes nazis, de l'autre je ne trouve pas "sain" que le législateur se mêle d'histoire.

Faut être honnête, quand la loi sur les "bienfaits de la colonisation" est passée, je hurlais d'indignation, parce que je trouvais cette loi inique et honteuse même! Parce que cette loi était une insulte à l'histoire, aux millions de personnes réduites à néant, massacrées et deshumanisées pendant des siècles entiers. Parce qu'elle me faisait pousser les poils à l'envers. Celle-ci, sur le génocide arménien, me caresserait plutôt dans le sens du poil cette fois, je suis d'accord avec elle, l'Empire Ottoman en guerre a massacré plus d'un million de personnes au seul prétexte qu'elles étaient arméniennes, oui. Mais la loi doit elle se mêler de cette affaire? Le Parlement a-t-il le droit de nous dire ce que nous devons penser? Comment nous devons penser, ce que nous pouvons ou non dire ? Je n'en suis pas sûre!! Je suis comme tout le monde en fait, une loi qui est issue de mon courant de pensée me sera d'entrée plus sympathique qu'une loi UMP, ce qui ne veut pas dire que les lois issues de la gauche soient forcément bonnes... Mais ce n'est plus une question gauche/droite ici, c'est au delà de ça, c'est l'essence humaine qui est en question, et son histoire.

Du point de vue juridique, une loi sur la reconnaissance du génocide existe déjà depuis 2001, loi qui est en fait une extension de la loi Gayssot de 1990 qui condamne le négationnisme des crimes nazis. C'est ce que l'on appelle les lois mémorielles. Mais la condamnation du négationnisme n' était pas présente en 2001. Alors, un autre problème se soulève aussitôt, celui de faire des négationnistes, turcs ou autres, des "martyrs" de la liberté d'expression: "on nous brime, on nous fait taire, il n'y a qu'une histoire officielle, etc..." C'est très compliqué tout cela... Le risque, c'est que le législateur se mêle de tout et de n'importe quoi, que le Parlement légifère sur tous les sujets de l'histoire, galvaudant du même coup la notion très précise de génocide, lui faisant perdre son essence et faisant par là même plus de mal que de bien. On pourrait aussi reprocher à la France de se mêler de ce qui ne la regarde pas, en effet. Si la Turquie votait une loi condamnant l'attitude française au Maghreb, le tolérerions-nous? Pas sûr... Je suis très perplexe face à cette ingérence de la loi dans le débat historique. Bon nombre d'historiens sont hostiles par principe à la loi Gayssot de 1990, car ils préfèrent se battre face aux négationnistes sur le terrain des preuves historiques et irréfutables et non pas être cadrés par une loi. Car une loi sur l'histoire pondue par un Parlement démocratique, ce n'est pas la fin du monde, mais une loi sur l'histoire votée par un Parlement, disons moins démocratique pour ne pas dire autoritaire, peut avoir des conséquences terrifiantes.

Le génocide arménien reste un épine douloureuse dans le pied de l'Europe et le fait de le reconnaître ne peut qu'être bénéfique. On parle de brutalité du Parlement qui a pu froisser les autorités turques (on l'a vu en effet), mais la population arménienne n'était elle pas aussi "froissée" de voir que la Turquie continuait à nier ce crime? On parle de rupture du dialogue entre la France et la Turquie alors que cette dernière souhaite entrer dans l'Europe, certes, mais pourrait-on imaginer une seule seconde entamer un dialogue avec une Allemagne qui n'aurait pas reconnu l'Holocauste? Impossible.

Bref, au bout de cette mince ébauche de réflexion, j'avoue que je reste pensive. Je ne suis pas la seule: voici une citation de quelques penseurs, juristes, écrivains ou cinéastes quant à la loi Gayssot de 1990:

Didier Daeninckx (écrivain), Alain Jakubowicz (avocat), Serge Klarsfeld (avocat), Claude Lanzmann (cinéaste), Denis Tanovic (cinéaste), Yves Ternon (historien) (liste non limitative) : "Le législateur ne s’est pas immiscé sur le territoire de l’historien. Il s’y est adossé pour limiter les dénis afférents à ces sujets historiques très spécifiques, qui comportent une dimension criminelle, et qui font en tant que tel l’objet de tentatives politiques de travestissements. Ces lois votées ne sanctionnent pas des opinions mais reconnaissent et nomment des délits qui, au même titre que le racisme, la diffamation ou la diffusion de fausses informations, menacent l’ordre public." (pétition "ne mélangeons pas tout" du 20 décembre 2005).

Et voici ce qu'en pense Madeleine Rebérioux, éminente historienne, spécialiste de Jaurès et présidente d'honneur de la Ligue des droits de l'homme, décédée en février 2005:

"Ce texte est hautement critiquable pour trois raisons :

_ il confie à la loi ce qui est de l'ordre du normatif et au juge chargé de son application la charge de dire la vérité en histoire , alors que la vérité historique récuse toute autorité officielle. L'URSS a payé assez cher son comportement en ce domaine pour que la République française ne marche pas sur ses traces.

_ Il entraîne quasi inéluctablement son extension un jour à d'autres domaines qu'au génocide des juifs : autres génocides et autres atteintes à ce qui sera baptisé "vérité historique".

_ Il permet aux négationnistes de se présenter comme des martyrs, ou tout au moins comme des persécutés.

Imagine-t-on le doute rampant qui va s'emparer d'esprits hésitants ? "On nous cache quelque chose, on ne nous dit pas tout, le débat est interdit..." Imagine-t-on les réactions de tels adolescents à qui les enseignants tentent d'inculquer un peu d'esprit critique ? Imagine-t-on le parti que peuvent en tirer les antisémites larvés, qui n'ont pas disparu ?

Une seule solution : connaître et faire connaître. Dès lors que pour condamner l'antisémitisme et la xénophobie, nous disposons de la loi de 1972, en matière de recherche, répression égale régression. "

Ainsi même les plus grands penseurs et historiens sont partagés sur l'opportunité de ces lois. Je reste quant à moi perplexe: je ne tolèrerai jamais que soient niés les crimes contre l'humanité et les génocides, mais je suis par principe opposée à une quelconque histoire officielle, même si elle défend mes propres points de vue! On n'est pas sorti du débat!

   

(www.imprescriptible.fr)

Loi n° 2001-70 du 29 janvier relative à la
reconnaissance du génocide arménien
publiée au J.O. du 30 janvier 2001

L'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Article unique
La France reconnaît publiquement
le génocide arménien de 1915

Par le Président de la République : 
JACQUES CHIRAC

Le Premier ministre  
LIONEL JOSPIN

Publié dans couleur orange

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
probité et histoire officielle ne font pas souvent bon ménage en effet.<br /> pour ce qui est d'anne lise, je passerai lui faire une visite virtuelle, c'est galère le zona!<br />  
Répondre
L
Information rien à voir avec le sujet<br /> Je suis passée sur le blog d'Anne Lise et la pauvre souffre d'un zona.
Répondre
L
Bonjour Louise<br /> S'il faut en passer par la loi pour des faits avérés c'est qu'il y a  un gros problème, la reconnaissance par l'état est capitale pour les arméniens, cette loi ne me gène pas, elle est utile et adaptée.<br /> Je ne suis pas historienne, mais quand je vois tout ce qu'on nous cache dans les livres d'Histoire parce que c'est peu glorieux pour notre pays, je m'interroge aussi sur la probité de qui ? des historiens complaisants, de l'état malhonnête, je n'en sais rien.<br /> BISES DE 15H40
Répondre
J
Je suis carrément certain que c'est une connerie. Marre de se facher avec les américains, les chinois, les russes, les turques en leur reprochant tout un tas de trucs. Nous n'enseignons pas aux petits français les massacres de la commune du 19ème et le génocide des malgaches que nous avons commis lors de la décolonisation. Pourtant cela a bien existé ! La répentance pour nous et la lecon de morale aux autres est une spécificité du peuple arrogant et bien pensant que nous sommes devenu. Bon sang ! A quand un peu de pragmatisme politique ?
Répondre